LA GALERIE - LES EXPOSITIONS

RENCONTRE AVEC SYLVIE DEDET

 

M. P.  - Les thèmes récurrents que l’on trouve dans tes peintures, la nature, les arbres, les saisons, quelques animaux... Je ne me souviens pas avoir vu dans tes toiles la moindre figure humaine. N’as-tu jamais été tentée par le portrait, la représentation du corps, même ébauchée, même évoquée sans précision ?
Sylvie - La nature, les arbres, les saisons, les animaux, le"thé", cela fait déjà pas mal...Des figures humaines, il y en a sur trois tableaux récents : cela ne fait pas beaucoup, mais les humains sont pourtant là, suggérés par les pots et les théières abandonnés sous un arbre, les reliefs d'une fête agreste, les petits pavillons...

M. P. - Tu évoques souvent ta préoccupation pour la couleur, mais ta peinture est figurative. Même si les formes dans tes compositions ne sont pas soulignées par le trait, il est évident que le dessin est présent. Est-ce que tu pratiques indépendamment de ton travail sur le toile, le dessin et qu’est-ce qu’il représente pour toi ?
Sylvie -  En fait, maintenant, mes démarches de dessin sont multiples et adaptées aux besoins les plus pressants. Afin de parvenir à mon but, pour chaque peinture, je pense plutôt "couches de couleurs". Chaque tableau a une sorte "d'histoire de fabrication". Je dessine soit pour "accompagner" la peinture, préciser par le dessin un élément, soit indépendamment de la peinture à huile, je dessine librement, mais avec un pinceau et des couleurs. Ou encore j'utilise (et c'est ce processus qui me donne le plus de plaisir) des morceaux de mes anciens dessins (tous instruments) et de mes anciennes aquarelles (j'ai tout gardé et tout découpé) pour "composer". Rapprocher des choses de natures différentes, établir des liens entre tout, c'est la jubilation. Certains de ces collages servent de base à des peintures à l'huile par la suite. Mais pas envie de trop "conscientiser" de peur que le plaisir ne s'émousse.

M. P. - Chaque peintre a son propre Panthéon. Quels sont les peintres, d’abord qui t’ont donné envie de te consacrer à la peinture et ceux qui ont été plus ou moins un guide pour toi ?
Sylvie - Mes peintres préférés sont Paul Klee (à cause de son univers de rêve et sa créativité inouïe) et Morandi (passer une vie passionnante avec quelques bouteilles, je trouve cela fascinant).
Mais mes vrais maîtres réels :
1 - En dessin, ce sont les peintres chinois et japonais, avec leur utilisation du pinceau et leurs thèmes naturalistes.
2 - En peinture à l'huile, la technique du Greco a été pour moi déterminante. Au début j'ai suivi servilement sa façon de poser des glacis sur les empâtements, puis, au grè des besoins, avec pourtant la même base, j'ai multiplié les techniques : en tout une vingtaine de processus différents lors de l'élaboration de mes peintures.

M. P. - Tu utilises presque exclusivement la peinture à l’huile dont la technique de tradition ancienne exige art, méthode et précaution, autant que rigueur et patience. Qu’est-ce qui t’attire le plus dans cette pratique ?
Sylvie - Peinture à l'huile. À l'école des Beaux-Arts, il fallait travailler vite, j'ai fait un peu de peinture à l'huile mais pas beaucoup, juste assez pour savoir que le jour où je m'y mettrais ça prendrait beaucoup beaucoup de temps.
Pourquoi l'huile ?
1 - Je trouve que c'est beau.
2 - La peinture est plus solide et "dure" plus longtemps.
J'ai choisi cette voie au début et ne l'ai pas abandonnée. Entre chaque couche, il faut une semaine de temps de séchage. Au début j'étais impatiente, cela me gênait. Avec le temps, c'est devenu un atout : le temps permet de mûrir une peinture, à la fois techniquement et mentalement.

 

M. P. - Tu sembles pratiquer la peinture comme une ascèse, penses-tu qu’être peintre c’est un engagement total, un mode de vie, une disposition incompatible avec toute sorte de dilettantisme et d’amateurisme ?
Sylvie - Je ne pense pas que la peinture doit obligatoirement être pratiquée comme une ascèse. C'est la façon dont je l'ai prise, moi, par nécessité intérieure, mais aussi par chance (j'ai le temps). Je ne pense pas que cela soit la seule bonne façon de faire. Il y a autant de démarches différents que d'artistes. Justement c'est un des moyens d'individuation. À partir du moment où la démarche est authentique...

M. P. - Les courants de la peinture actuelle se partagent essenciellement entre l’art officiel, l’art dit «contemporain» et une forme d’expression dite «singulière». Le premier n’a de contemporain que le nom, puisqu’il se réclame de vieilles recettes que Duchamp lui-même rejetterait probablement, le second n’a souvent de singulier que certaines maladresses involontaires et inesthétiques. Ton travail ne relève évidemment ni de l’un ni de l’autre, quels seraient les qualificatifs que tu emploierais pour non pas définir mais évoquer ta peinture ?
Sylvie - Je cherche dans mes tableaux la beauté qu'il y a encore dans le monde, malgré tout. Notamment dans la nature, il y a des réserves de beauté époustouflante, régénérante. Les chercher, essayer de les traduire, partager avec les autres, c'est une grande source de joies de l'espèce la plus fine.
Je ne me situe pas dans mon époque. Je me sens "insituable". Ma peinture indispose certaines personnes. Elle s'est faite peu à peu à partir de choix auxquels j'ai été fidèle. La direction que l'on a prise, on la voit après coup, en considérant le chemin parcouru, et moi-même, je ne regarde pas en arrière sans étonnement.

Exposition Sylvie DEDET Du 6 au 15 octobre 2017

Sylvie Dedet se consacre exclusivement à la peinture depuis trois décennies. Cette exposition est pour elle l’occasion de faire le point sur son itinéraire pictural et sur l’évolution de son univers et de son expression. Ses sujets privilégiés restent la nature, les paysages, les saisons, les natures mortes... la constance de ces choix ne l’a toutefois pas empêchée d’explorer sans cesse de nouveaux horizons . Particulièrement passionnée par les recherches concernant les résonances chromatiques, sa palette n’a cessé de se transformer, d’évoluer en fonction des nécessités intérieures. Son itinéraire peut ainsi rappeler celui  décrit dans l’art des icones, culture de «l’œil intérieur» et de «l’amour de la beauté», de la technique basée sur le savoir et la patience.  La couleur n’est pas seulement l’effet de la lumière sur une surface et une matière, c’est aussi et peut-être surtout, en tout cas pour Sylvie Dedet, l’expression d’un sentiment, d’une vérité intérieure, d’un état physique et psychologique. Ainsi pour Sylvie, le voyage dans l’univers de la couleur s’est-il effectué au tout début sur le continent du vert, couleur par excellence de la plénitude de la nature en été, symbolise l’immobilité, la disponibilité et donc la période de l’apprentissage. Elle s’est ensuite penchée sur l’univers du jaune qui peut porter en lui une exaspération et pourrait dépasser les limites, mais qui chez Sylvie est apaisé par sa tendance à la dorure, symbole de la spiritualité et de la connaissance. Dans son itinéraire, elle a ensuite confié ses émotions au rouge qui concentre en lui énergie et intensité, qui est force et action. Elle a enfin rencontré le bleu qui représente pour elle l’aérien, le léger, le céleste. Toutes ces couleurs sont, dans le travail de Sylvie Dedet savamment agencée et longuement réfléchies en harmonies et contrastes. En compensation à ce travail méticuleux, Sylvie se livre à ce qu’elle appelle des «presque collages», allusion aux «presque poèmes» de Roberto Juarroz, exercice ludique à la pratique aléatoire et spontanée, comme une récréation parallèlement au travail obstiné. L’exposition présentera entre autre, les deux aspects de cette démarche. Sylvie Dedet a élaboré un univers personnel mi-naïf mi-savant dans lequel chacun peut se projeter à sa guise en toute quiétude pour le plaisir des yeux, du cœur et de l’esprit.

M. P.

L’atelier du peintre est un lieu de vie et de travail tout à fait particulier. Il est aussi un reflet de la personalité et de l’engagement de son occupant(e). Celui de Sylvie Dedet, à Cournonterral, relève du lieu de méditation et du laboratoire. Dans «Regards sur le passé», Wassily Kandinsky écrivait : «le monde est rempli de résonances. Il constitue un cosmos d’êtres exerçant une action spirituelle. La matière morte est un esprit vivant». C’est sur les bases de ces convictions que Sylvie Dedet poursuit son engagement dans le décryptage poétique du monde. Mais son approche instinctive et apparemment spontanée  est aussi de toute évidence liée à une réflexion profonde. Elle reste fidèle à la technique de la peinture à l’huile qui exige connaissances et précautions sur l’usage des supports, des couleurs et des médiums. Et c’est en cela que son atelier prend parfois aussi des allures de laboratoire.
M. P.

EXPOSITIONS PASSEES

EXPOSITION CHRISTINE BUSSO

ENTRETIEN AVEC MARIE-CLAUDE BUSSO AU SUJET DE L'OEUVRE DE SA FILLE CHRISTINE

Scène & Galerie : A l’issue de son cursus de cinq ans à l’école des Beaux-Arts de Saint Etienne, Christine a reçu les encouragements du jury qui lui a par ailleurs refusé l’attribution du diplome de fin d’études sous prétexte que son travail ne rentrait pas dans la définition de «l’Art Contemporain». Est-ce à dire que les écoles des Beaux-Arts et donc le Ministère de la Culture définissent ce que doit être la culture, ce qui doit être enseigné et ce qui doit être exprimé ? Nous pensons communément que cette exigence n’a cours que dans les pays totalitaires...
 M-C BUSSO :  A la fin des années 80, l’école des Beaux-Arts de St Etienne était plutôt ouverte et tolérante. Christine s’est présentée à l’entrée avec un dossier de productions artistiques très léger, une argumentation solide et elle a réussi un écrit et un oral très brillants, grâce à sa culture. On lui a donné sa chance.
Mais le Ministère de la culture s’est ému du « laxisme » de l’école et a demandé un recentrage du côté du « conceptuel » et du « vendable immédiatement ». Certains professeurs ont tout fait pour amener Christine sur la voie tracée, plus particulièrement son Directeur artistique. Elle a tenté de résister et elle en a souffert. En 1992 le jury était composé de 5 personnes dont 2 représentants du Ministère. Christine n’a pas obtenu son diplôme alors que ses camarades l’attendaient 1° avec félicitations. « Vous n’êtes pas dans les critères de l’art contemporain ». Et pourtant, cette année-là, pour garder leurs subventions, et avoir le maximum de réussites, les enseignants s’étaient inclinés, avaient réalisé une pré-sélection et n’avaient présenté au diplôme que la moitié des élèves, ceux qui paraissaient dans le moule et pouvaient espérer correspondre à ces « critères », effectivement totalitaires.

Scène & Galerie : Dans sa peinture Christine laissait libre cours à son imagination, selon des procédés et des supports différents pour varier les effets, et donnait ensuite une interprétation de son travail en laissant des indications et des titres très précis. Ces indications ajoutent à la poésie et à la magie de la peinture mais peuvent aussi imposer une interprétation unilatérale au détriment d’une appréciation plus libre et plus personnelle de la part du spectateur. Quelle était la part du «message» délivré dans ses oeuvres ?
M-C BUSSO :   Je pense que Christine ne délivrait pas de message dans ses œuvres. Elle acceptait qu’on y voit notre propre interprétation ou des choses qu’elle n’y avait pas mises. Lorsqu’elle peignait, elle se laissait aller à une autre dimension et elle « recevait » l’inspiration, comme en transe ou en voyage mental. Tout lui était « donné » et sa main agissait. Sans doute peut-on établir un parallèle avec l’écriture automatique des surréalistes et une perception issue du subconscient. Avant de peindre, elle ne sait pas ce qu’elle va peindre. Après, elle note ou fait un croquis. Est-ce pour elle ? Mémoire, retour au concret ?  Je le crois. Je suis à peu près sûre qu’elle ne voulait pas imposer d’interprétation. Elle transmettait ce qu’elle avait reçu et le donnait à voir. Comme un passage du subconscient au conscient.de l’humanité, des légendes oniriques, des recherches ésotériques. La fuite en Egypte, Ange Gabriel, Apollon, Orphée cohabitent avec Bouddha et Le Temple d’Or… Elle créait un monde merveilleux. Tout est empreint d’une forme de spiritualité mais pas de mysticisme.

Scène & Galerie : Lorsque vous avez découvert l’oeuvre de votre fille après son décès, scrupuleusement rangée, annotée, avez-vous immédiatement pensé qu’elle souhaitait qu’elle soit montrée ? Avez-vous immédiatement pensé à ce projet d’expositions successives à travers la France ou vous êtes-vous mise en quête, d’aide, de soutien, d’avis ?
M-C BUSSO :   Lorsque j’ai ouvert les cartons de Christine, j’ai d’abord été un peu affolée. « Qu’est-ce que je vais faire de tout ça ?  De ce magnifique résultat du travail acharné de toute une vie ?». Je ne voulais pas qu’elle ait tant travaillé pour rien. Je trouvais tout très beau mais je ne suis pas professionnelle. J’ai cherché des avis autorisés et j’ai sollicité des rendez-vous : un historien et critique d’art à Metz, un Commissaire d’expositions à Thionville, le Directeur du Musée d’Aix les Bains, de nombreux artistes, un amateur et acheteur de peinture, des galeristes à Paris… puis les amis, la famille… Unanimement on m’a dit : « C’est une œuvre, il faut montrer, il faut exposer dans des lieux adaptés au raffinement et à la spiritualité de sa peinture ». J'ai trouvé beaucoup d'avis élogieux mais très peu d'aide, et très peu de soutien, et . Restait à me persuader que Christine aurait bien voulu. A me défaire de la sensation détestable de pénétrer dans les secrets d’une conscience, d’avoir à mettre sur la place publique ce qui était intime. Lorsque j’ai trouvé, écrites de sa main, en accompagnement des feuilles peintes, des « Consignes de restauration et d’exposition », je me suis libérée de mes scrupules.
Novice, j’ai d’abord perdu du temps dans des démarches inutiles : les Fondations (par ex Cartier, Pierre Bergé-Yves St Laurent, Taylor…), les Musées liés à une Abbaye (Brou, St Antoine l’Abbaye…), les musées d’Art Singulier (Bègles, Fondation Magrez à Bordeaux), les CRAC (Le Tremblay dans l’Yonne), des associations d’artistes (Mouv’Art à Auxerre), des châteaux (Couches, Sully, Vins sur Caramy…), des personnages connus pour leur action artistique (Andréa Ferréol, Gérard Garouste, Jean Clair, Olivier Cena…)
Et puis, à force de chercher, de montrer, de parler… j’ai commencé à exposer… Ce sont les rencontres, impromptues ou improbables, qui m’ont aidée. Mais c’est un « métier » difficile et j’ai compris pourquoi Christine n’avait pas perdu son temps à vouloir exposer.

Scène & Galerie : L'ambition première de Christine était de se destiner à une carrière de danseuse, le sort en a décidé autrement. Mais on sent, surtout dans ses sculptures, une volonté de saisir le mouvement, la grâce. Est-ce que cet engagement dans l’expression artistique a été pour elle un exutoire satisfaisant ou a-t-elle toujours exprimé ses regrets de n’avoir pas pu s’affirmer dans l’art de la danse ?
M-C BUSSO:  Christine a passé son besoin de mouvements, sa rage de danser dans ses sculptures. Elle l’exprime d’ailleurs très bien dans ses lettres : « il faut que cela danse et dise pour moi ». Il semble qu’elle ait ainsi réussi à revenir du désespoir de ne plus danser. Elle peut alors se jeter dans la couleur et y trouver énormément de plaisir. Elle n’exprime plus ses regrets mais le bonheur que lui apporte la couleur et, surtout, sa recherche de la « musique-couleur ».

 

Scène & Galerie : Les différents commentaires à propos son oeuvre évoquent souvent un certain mysticisme, qu’en était-il de son attitude par rapport à la religion ?
M-C BUSSO :   Christine n’avait d’attache à aucune religion. Je crois qu’elle n’avait pas ce qu’on appelle communément la foi. Elle s’inspirait de tous les mythes fondateurs de l’humanité, des légendes oniriques, des recherches ésotériques. La fuite en Egypte, Ange Gabriel, Apollon, Orphée cohabitent avec Bouddha et Le Temple d’Or… Elle créait un monde merveilleux. Tout est empreint d’une forme de spiritualité mais pas de mysticisme.

Christine BUSSO n’a jamais exposé car elle considérait que son travail n’était pas prêt, «je continue à travailler et espère pouvoir un jour montrer des résultats enfin aboutis» (mars 1993). Hélas, la vie n’a pas exaucé ce voeu puisqu’atteinte d’un cancer, elle meurt en décembre 2008, à 41 ans.
 En ouvrant ses cartons, sa mère met au grand jour une oeuvre stupéfiante où toutes les pièces ont été soigneusement archivées pendant 18 ans. Que faire, alors ? Garder secrète une production qualifiée de «non aboutie» ? Suivre le conseil de professionnels consultés, affirmant d’une voix unanime «il faut montrer» ? Christine elle-même laisse une réponse dans certains de ses écrits où sont notées «les consignes de restauration et d’exposition». Les scrupules de sa mère s’envolent. Respecter la volonté de sa fille, c’est lui redonner une forme de vie par le biais des des expositions et offrir à chacun le beauté qu’elle pensait consolatrice.

Après 5 ans d’études aux Beaux-Arts de Saint-Etienne, elle se lance à corps et à cœur perdus dans une recherche picturale personnelle. Seule, loin des remous et des modes, en proie à une passion unique et dévorante, elle travaille sans relâche, acharnée, concentrée sur son monde intérieur qu’elle peuple de personnages très particuliers avec lesquels elle se plaît à dialoguer. Un monde onirique et merveilleux, incarnation de la lumière et du rêve. « Je veux une peinture qui apaise et qui console », écrit-elle.

            11 juillet 1967 : Naissance à Mont Saint Martin (54). 

        1982-1985 : Ecole de danse classique à Lyon et études secondaires par correspondance. 

            1985-1987 : Cours d’histoire de l’art à la Faculté de Lyon. 

            Octobre 1987 à fin 1992 : Ecole des Beaux-Arts de Saint-Etienne. 

            A partir de 1993 : recherches personnelles, peinture, dans l’isolement de son atelier, à Saint-Etienne.

            Novembre 2006 à décembre 2008 : cancer et soins palliatifs.


Exposition Victorine FOLLANA du 25 mai au 5 juin

Peindre c'est se découvrir

A juste raison, Victorine FOLLANA a fait sienne la maxime : «Peindre c’est se découvrir». C’est se dévoiler, vis à vis d’autrui mais aussi apprendre à se connaître. C’est exposer sa vision, son univers, ses faiblesses et ses points forts. C’est se montrer dans son originalité, dans son expression d’individu unique, par sa personnalité, sa culture et son histoire. C’est se mettre à nu, en toute impudeur parfois. Mais c’est aussi aller dans l’intime, au plus profond de soi, se prendre soi-même comme champ d’investigation et ainsi apprendre à discerner ce qui en soi peut concevoir une vision inédite du monde. Ce cheminement se dessine comme un parcours initiatique, vers une recherche peut-être vaine, à jamais inaboutie. «Un peintre est perdu quand il se trouve» avait déclaré Max Ernst, c’est dire que le peintre doit sans cesse se remettre en question, doit poursuivre toujours dans l’inconnu, au-delà de toute raison et de toute convention.
Dans son parcours et sa pratique Victorine Follana aime s'exprimer dans l'abstraction mais également quelquefois dans une peinture narrative basée sur la mémoire, les deux lui servant  à poursuivre sa quête jalonnée de belles découvertes. Maîtrisant parfaitement les subtilités chromatiques, elle nous offre des toiles s’ouvrant comme des fenêtres sur un monde généreux et surprenant.

M. P.

Victorine Follana le poids du passé, la force au présent
Victorine Follana est une artiste singulière, conjuguant deux types d’expression,  opposés, mais en apparence seulement, car complémentaires et pas si éloignés loin de l’autre. Une expression figurative laisse libre cours à une imagination quelque peu inquiète, qui semble avoir des résonances dans le passé et des souvenirs douloureux. «Le peintre n’en finit pas d’épuiser ses rêves», disait Georges Braque. Il est vrai que quelque soit la dénomination, abstraction lyrique, surréalisme ou autre, l’artiste s’interroge, inconsciemment ou pas, sur ce qui constitue sa personnalité profonde. Des personnages aux contours plus ou moins vagues semblent figés dans des scènes énigmatiques, sans décor, sans référence de lieu ou de temps. Fantomatiques et pourtant tranquilles, les yeux écarquillés, comme étonnés d’être ainsi évoqués. Groupés comme une fratrie disparate, ils semblent comme en apesanteur dans un monde hostile. Mais, ni grimaçants, ni grotesques, ils portent sur leur visage la paisible acceptation d’un univers poétique et secret. L’autre face de Victorine s’exprime dans la couleur, le rythme et la force d’une spontanéité maîtrisée dans le geste ample et assuré. Elle pratique ainsi une abstraction lyrique aux harmonies savantes qui laisse libre cours à l’exaltation des divers sentiments. Le geste s’allie à la couleur pour évoquer une partition personnelle qui dévoile détermination et conviction. Un regard sur le passé, une énergie présente, le doute et l’interrogation d’un côté, l’assurance de l’autre... une complémentarité qui est la marque d’une expression solide et chaleureuse.

M. P.


Tout part d'une photo. Jean-Pierre Bigas ne se sépare jamais de son appareil et ce en toutes circonstances, ce qui l'amène à faire des découvertes, poser son regard sur un détail qui échappe au commun des mortels. Longtemps élève des Beaux Arts, il est remarqué par le célèbre magazine "Photo" dans les années 80 et sera même invité aux Etats-Unis. Des algues, un fond de piscine décapé, une serpillière, un immeuble en démolition, tout est prétexte à l'œuvre créatrice. Il révèle la beauté vertigineuse d'un platane dont les dessins deviennent des mouvements d'une grâce incomparable. L'œil de l'artiste fait mouche à chaque fois.

Les tirages exposés au temple n'ont rien du hasard ou si peu. Il les a travaillés, souvent longtemps, patiemment, en amplifiant les couleurs, en travaillant la saturation. Il aime à placer cet "impact rouge" qui "assoit le regard" glisse-t-il au fil de la conversation avec de la malice dans le regard. Ce regard d'une grande finesse sur "Petra bleu" où l'on voit le front ridé d'une dame sans âge ? Ce sont des pierres ! Et cette serpillière à l'hymen provocant qui s'affiche non loin de cette figure christique apparut dans les cicatrices d'un platane malmené par le temps.. et les hommes. On peut dire que ce grand voyageur a pris avec joie le virage du numérique et cette exposition intitulé "Pictorialités" en référence aux pictorialistes de la fin du XIXe siècle inspire le visiteur à qui Jean Pierre explique : "On peut s'évader de l'analyse brute du sujet perçu par le regard et cadré dans le viseur pour laisser courir son imagination, manipuler les formes, les images et les couleurs et de se rapprocher de l'expérience du peintre … "

Bruce Torrente Midi Libre


Du 16 au 25 septembre 2016

exposition des peintures, gravures et dessins

de Michel PUECH

"Ailleurs"

Musique créée et jouée par Benoît Puech

L'OEIL VISCERAL

Michel PUECH, peintre et graveur, est inspiré par l'art informel et l'estampe. Jaillissante de lyrisme, pourtant toute en retenue, sa peinture ! Animée de circonvolutions, pourtant rigoureuse, sa gravure ! Les deux expressions artistiques entrant en résonance via la passion de l'artiste pour les lignes du dessin.

 

EXIL (Peinture à l'huile sur toile 90x70 Juillet 2014)

reproduction ci-dessus


La peinture d'une apparition de fleur extra terrestre, voilée de soie aux couleurs d'états d'âme, ondoie d'effervescence sur un fond aquatique. Au coeur du fourreau, torturé en douceur d'allégories oniriques, une trouée de ciel limpide comme un lac de montagne, aimante la curiosité d'un petit peuple larvaire et de flammes d'oiseaux d'eau douce, autour du point de fuite.

La chair de la corolle se drape d'un plissé coquille aux célestes nuances pastel. Dans les ondulants sillons des draperies, éclosent des métamorphoses organiques : cascades de carcasses d'oiseaux, coulures de monstres embryonnaires, larmes secrètes, perles d'yeux, efflorescences d'humeurs, lamentations de pénitents gisants, déchirures... On est ici dans les flux intimes de la vie, au plus près du trouble de la touche de peinture fondée sur les méandres de l'inconscient, au profond de la sensibilité, dans un espace de spiritualité.


GALERE DE L'IMAGINAIRE (Dessin au pinceau et encre de Chine sur toile 80x80 Mars-avril 2015)

reproduction ci-dessous

 

Voici le dessin d'un voilier baroque, réalisé au pinceau et à l'encre de Chine sur une toile à peindre. Un solide graphisme sous-tend la grâce tout en courbes des souffles du pinceau propulsé d'encre de Chine. Exubérance du vent dans les voiles, et toute une mythologie de l'imaginaire dans la subtilité des décorations dont certaines paraissent éraflées à la plume d'oiseau.

Galère de l'imaginaire, Mirage en partance pour l'exil ? Le ciel broie du noir, souligne d'une arabesque transversale l'apesanteur fantomatique du vaisseau. Parmi les voiles boursoufflées, une vigie en proue fait le gué. En poupe, un sarcophage ? Des formes d'oiseaux, de feuilles, virevoltent, tandis qu'un spectacle de contes se déroule sur le pont en scène de théâtre, garni de bas-reliefs chimériques.

La trouée noire de nuit, au centre de l'oeuvre, ouverture symbolique souvent réitérée dans le travail de l'artiste, serait-ce la trace visionnaire d'un oeil énuclée ? Ici, elle est scandée de fils arachnéens où s'accroche un soleil cramoisi qu'un aigle ose fixer. Des gouttes de sang rejaillissent dans les ornements du décor. On navigue dans le monde des ombres, immergé dans l’esprit de l’encre, si près des actes de l'écriture !

Ce dessin ouvre la voie à la mutation du graphisme dans les récents dessins à l'encre de Chine de l'artiste. Les massives cathédrales de lacis amoureux, semblent peu à peu se dénouer de la matière, prendre leur envol pour ressurgir sous forme d'ellipses fuselées, soyeuses, exacerbées d'aiguillons en becs d'oiseaux, cris aigus intériorisés vibrant à la blanche clarté du support sous la danse des lignes en liberté.

L'art de Michel Puech est de la nature de l'esprit, texturé de l'indéfini sans cesse renouvelé de la poésie.

Marie-Lydie Joffre
août 2016

Débridée, diront certains, foisonnante diront d’autres, bon nombre de qualificatifs pourraient être employés pour désigner l’imagination dont fait preuve Michel Puech dans ses compositions picturales. Mais il est certain que ces représentations, déroutantes, intrigantes, étranges, ne laissent personne indifférent, tant est puissante leur évocation, tant est présente leur irréalité. Grand admirateur de André Masson, de sa technique et des leçons qu’il a tiré de ses dessins automatiques, Michel Puech a su adapter sa musique intérieure aux harmonies et rythmes subtils hérités des pratiques surréalistes.
«C’est au plus loin de tout projet, aux antipodes de ce qui vise à exercer un quelconque pouvoir culturel, qu’il s’agit de remonter, là où surgissant du chaos, la vie donne forme, fait sens. Soudain, tout ce qui fut l’objet de la poésie revient battre aux tempes du monde dans la nuit de l’intelligence où nous sommes claquemurés. D’où la double nécessité de regarder ailleurs et autrement...» écrit Annie Le Brun dans son essais «Si rien avait une forme, ce serait cela»
Ailleurs et autrement, voilà ce qui peut positionner les peintures de Michel Puech, qui ne sont ni provocations, ni simulations gratuites mais «échouages ou dérives» comme l’écrit encore Annie Le Brun, «ce qui nous est trésor en plein vent, la splendide obscurité du sursaut».


Raphaël KLEWETA nous a quittés le 30 avril 2016. C’est à Cournonterral à la Chapelle des Pénitents, qu’invité par l’association Scène & Galerie il avait présenté sa dernière exposition au mois de décembre 2015. C’est aussi à Cournonterral, dans les salles du Vieux Cournon qu’il avait présenté, il y a vingt-cinq ans, une de ses premières expositions. C’est un très grand technicien de cet art trop peu connu, la gravure,  qui s’efface, un artiste aux immenses qualités humaines, une disparition que tous ses amis, nombreux, déplorent profondément.
M. P.

Ce sont deux artistes de génération différente qui vont occuper la galerie de la chapelle des pénitents de Cournonterral du 4 au 12 décembre 2015.

Raphaël KLEWETA graveur éditeur polonais installé dans l’Aude est un artiste confirmé qui a fait de nombreuses expositions, tant en France qu’à l’étranger. Graveur maniant le burin avec une extrême précision et dextérité, il est l’auteur d’un nombre considérable de gravures, pour la plupart en taille-douce, mais aussi en relief. Créateur de sa maison d’édition Anima Mundi il est aussi à l’origine d’une collection de livres d’artiste, en tirages limités, traitant autant de poésie que de textes anciens, philosophiques, alchimiques ou ésotériques. Raphaël est un artiste d’exception qui sait également, avec talent, faire partager sa passion et faire oeuvre pédagogique pour son art exigeant qui demande technicité et habileté.

Benoît PUECH est un jeune peintre qui ne s’est pas beaucoup manifesté jusqu’à présent. Il propose pourtant une vision très personnelle, un univers onirique, ludique et coloré, à travers un dessin d’une grande finesse et précision. Grand amateur de musique, qu’il pratique également, il nous propose de plaisantes compositions poétiques, construites en harmonies telle une mélodie, et dans lesquelles chacun peut divaguer et rêver à son propre rythme.



La peinture a cédé la place, dans les galeries, musées, institutions... à «l’art contemporain». La peinture est devenue le parent pauvre de la culture. Au sein de cette peinture aux multiples expressions, la peinture figurative pourrait paraître à présent, hors actualité, les institutions ne valorisant que ce qui est subventionné, les médias ne s’intéressant qu’à la mode et la pseudo-nouveauté, les galeries subsistant difficilement face à leurs contraintes commerciales. La multiplication des outils de production et reproduction de l’image n’explique pas à elle seule la marginalisation de la peinture figurative. Cet «art contemporain» que s’efforcent d’imposer politiques et marchands rejette la reconnaissance du «métier», de l’apprentissage et de la transmission, des exigences de la peinture traditionnelle, ainsi que tout sentiment au profit d’une «idée».
Mais la peinture, si elle s’élabore dans la solitude de l’atelier, relève avant tout de la «communication», s’inscrit dans un espace et une époque dont elle se fait l’écho. La peinture figurative, à caractère plus ou moins réaliste, a encore, au-delà des modes et des diktats, un rôle à jouer dans l’échange et la transmission. Bruno Galière est resté fidèle à cette exigence et ce principe qu’une peinture descriptive et minutieuse ne constitue pas un obstacle à l’expression d’un sentiment ou d’une réflexion.
 Il nous propose dans cette exposition un voyage, ou plutôt des voyages dans l’espace, dans le temps, dans l’intime. Certaines toiles sont des visions et des observations ramenées de ses voyages, d’autres des réactions sur des évènements importants de notre histoire, d’autres enfin des pensées et méditations de son propre vécu et ressenti. C’est aussi un voyage lumineux exprimé dans un trait sûr et habile et dans une harmonie de couleurs à dominante bleue. Nous vous invitons à venir découvrir ou revoir les toiles de Bruno Galière et de vous laisser embarquer pour ce voyage tout en poésie et délicatesse.    

ENTRETIEN AVEC BRUNO GALIERE

M. : Quelle est la place de la technique dans ta peinture ? Brassens disait que «sans technique un art n’est plus qu’une sale manie» (il est vrai à propos d’une activité pas du tout artistique), la crois-tu indispensable, utile ou sans plus dans le processus d’élaboration de la toile ?
Bruno : Observer, interpréter, imaginer voilà les cheminements d’un dessinateur, d’un peintre, d’un sculpteur. Alors , pour s’avancer humblement sur ces chemins, encore faut-il avoir des notions de dessin, un sens des harmonies. Si nous abordions le domaine musical nous retrouverions le même cheminement pour aborder l’écriture musicale.
Au final, l’œuvre réalisée retiendra seule l’attention, va-t-elle rassurer l’observateur, satisfaire ses convictions, le surprendre, l’émouvoir, le repousser ? Peu importe, chaque être humain obéit à des éléments et des composantes se son être qu’il ne maîtrise pas , c’est ainsi. Accepter ses propres émotions demeure un bien lourd défi .
L’artiste est avant tout un artisan au sens noble du terme. Le peintre dispose de pinceaux, de couteaux, d’un support, une toile blanche par exemple. Mais heureusement qu’il n’est pas seul face à ce vide matériel, il a son « être », sa sensibilité pour mettre en scène.

 

M. : Par rapport à la figuration, à la représentation plus ou moins fidèle de la réalité, crois-tu qu’il y ait encore un espace pour une expression personnelle et novatrice. L’invasion de l’image par la prolifération d’appareils de reproduction et de diffusion, ne sature-t-il pas le champ de l’acceptable ?
Bruno : Actuellement , nous n’ignorons pas les multiples logiciels dont disposent les artistes pour dessiner, mettre en mouvement, colorier. C’est ainsi. Ce qui me semble important, c’est la simplicité , la sincérité pour accéder à la réalisation d’une peinture. Qui peut se prévaloir de cela tout au long de sa vie ? C’est le chemin qui nous est indiqué, c’est un sacré parcours qui fait appel à nous seul . La place des «outils» est bien minime dans cette démarche. Mais n’oublions pas que la peinture s’inscrit à mon sens, dans un parcours de vie. Il ne s’agit pas de consommer tel ou tel produit et de le revendre à meilleur prix, laissons cela aux marchands ! Oui, je suis parfois bien affecté par cette politique commerciale soutenue par les pouvoirs publics dont nombre de nos élus.

M.  : Markus Lüpertz, peintre figuratif allemand, dont le Musée d’Art Moderne de Paris présente une rétrospective affirme qu’en Allemagne la peinture figurative a toute sa place, alors que ce n’est pas le cas en France. Penses-tu que la cause en est la politique mise en place par le Ministère de la Culture qui privilégie pour ne pas dire ne considère que l’art contemporain ?
Bruno : Arrêtons cette pensée unique de l’art contemporain dont nous ne savons pas exactement sa définition, car peindre un paysage, un portrait en 2015, c’est bien une peinture contemporaine dont il est question. La définition du Larousse est la suivante, contemporain : « Qui est du temps présent «.

M. : Une partie de ton exposition traite des violences subies par certains peuples, en particulier du peuple noir, est-ce un exutoire ou une forme de militantisme , de «lutte contre l’ignorance»?
Bruno : Enfin en ce qui concerne les toiles qui traduisent des scènes en rapport avec l’esclavage , il s’agit tout simplement de témoigner contre le silence imposé à des peuples. Ces peuples sont noirs, mais de nos jours l’esclavage moderne touche également le monde du travail , les familles etc…Heureusement , un jour des voix s’élèvent nous les percevons à peine , mais au fil des jours elles prennent place . Pourquoi ramener au silence toute pensée différente de la sienne ? par peur , oui par peur pour soi ! Tout être humain à droit à un toit et à sa nourriture.